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Ugly (Anurag Kashyap, 2013)

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Étrange Festival 2013 : compétition internationale.

En marge de Bollywood se développe en Inde un cinéma indépendant fascinant, dont Anurag Kashyap est une sorte de chef de file. Réalisateur de plus d’une dizaine de films, scénariste, producteur, parfois acteur, cet artiste complet livre avec Ugly un nouveau thriller magistral. Cruel, noir, violent et labyrinthique, Ugly offre un regard sans concession sur une Inde loin des clichés de cartes postales et constitue un tour de force narratif qui force le respect, une nouvelle fois.

Après l’impressionnante fresque Gangs of Wasseypur, l’indien Anurag Kashyap, véritable stakhanoviste, délaisse le cinéma “historique” pour un tout autre type de fresque, bien plus contemporain cette fois. Ugly porte très bien son titre, car il s’agit d’un film sale, poisseux, clairement moche dans ce qu’il dépeint. Dans l’idée générale, le film se rapprocherait presque d’un Memories of Murder, film avec lequel il partage une violente charge à l’encontre des forces de l’ordre qu’il se plait à ridiculiser, ainsi qu’un second degré assez malsain dans l’humour. Un humour noir, forcément tragique de par le sujet, mais qui permet d’apporter quelques respirations au sein d’un dispositif narratif cherchant à étouffer le spectateur. Ugly est une expérience viscérale qui braque un projecteur sur une Inde qu’on ne connaissait pas, celle qui ne correspond ni à la vision fantasmée d’une bourgeoisie clinquante ni à celle, plus misérabiliste, des plus démunis du pays. Ugly se penche sur une classe moyenne, ou une petite bourgeoisie urbaine, et notamment des officiers de la police, des acteurs, des producteurs, une sorte d’élite qui va être mise à mal. Le film prend la forme d’une vaste enquête concernant la disparition d’une petite fille, abordant l’évènement selon une multitude de points de vue jusqu’à une résolution qui glace le sang.

Ugly 11 Ugly (Anurag Kashyap, 2013)

Anurag Kashyap aime les récits amples et tortueux, et le thriller est un genre qui se prête parfaitement à cet exercice de déconstruction. En résulte quelque chose qui tend vers le film choral, avec une constellation de personnages aux intrigues personnelles entremêlées dans un ensemble qui pourrait vite tourner à l’indigestion. Sauf que le bonhomme est un habile conteur d’histoires et parvient à rendre gracieux ce chaos apparent. Chaos car la structure éclatée, faite de ruptures extrêmement brutales dans la narration, de flashbacks servant à développer encore un peu des personnages déjà complexes, et de multiples trahisons proposant à chaque fois un nouveau regard sur chaque personnage, donne le tournis. Mais Ugly puise justement sa force de cette structure, car le monde qui entourait cette petit fille maintenant disparue vole en éclats, de la même façon que son cocon familial. Entre losers, tyrans, faibles et égocentriques, l’univers d’Ugly est peuplé d’êtres antipathiques. A tel point que le regard que porte Anurag Kashyap sur cette société finit par transpirer le mépris pour le genre humain. C’est simple, chaque personnage finit par dévoiler un côté sombre et manipulateur, en se montrant capable d’exploiter la misère humaine et le désespoir simplement pour régler ses propres problèmes financiers ou s’enrichir sur le dos des autres. Pourtant, chacun semble avoir d’excellentes raisons car la précision de la structure narrative fait que chaque personnage a une influence notable sur la vie des autres. Cela renforce l’impression de cycle infernal qui ne peut pas aboutir sur une fin heureuse pour qui que ce soit. Et en effet, Anurag Kashyap pousse très loin la noirceur de son récit, jusqu’à littéralement assommer le spectateur.

Ugly 21 Ugly (Anurag Kashyap, 2013)

Il articule son film autour de séquences absurdes comme autant de pièges dans un labyrinthe, qu’il s’agisse de la très longue séquence du dépôt de plainte se retournant habilement contre les plaignants (la bêtise des forces de police y est tout simplement massacrée par leur mode de raisonnement) ou de cette scène hallucinée dans laquelle l’oncle de la fille disparue se lance dans une dance presque tribale au ralenti sur fond de musique ultra agressive. Ugly est un film qui prend les motifs du thriller moderne (rythmique post-Memories of Murder/Zodiac, démonstration par l’absurde, noirceur totale et humour noir) en l’assaisonnant de ces séquences choc, d’une violence assez inouïe, cela pour mettre en place un gigantesque puzzle visant à broyer ses personnages. La mise en scène est d’une élégance remarquable pour filmer cette horreur (reprenant d’ailleurs plusieurs codes du cinéma d’horreur), les ruptures de ton sont d’une efficacité terrible pour prendre le spectateur à revers, tandis que ce qui ressemblait à une enquête finit par se transformer en un maelstrom de vengeances personnelles. Égocentrisme, vieilles rancœurs, complexes d’infériorité ou égoïsme dégueulasse, tout est bon pour passer au vitriol cette classe moyenne qui n’en sort pas vraiment grandie. Anurag Kashyap a décidé de frapper fort et en plein cœur des métropoles indiennes qu’il filme sous leur angle le plus détestable (il faut voir ces plans sur des barres d’immeubles, effrayants), déployant un cinéma loin de la grandiloquence de son Gangs of Wasseypur mais qui colle merveilleusement à son sujet : noir, poisseux et répugnant, comme s’il filmait un pays qui avait passé un pacte avec le diable et s’était transformé en un enfer sur terre. Et le résultat s’avère très éprouvant, Ugly est un diamant noir qui ne devrait pas passer inaperçu.


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