Étrange Festival 2013 : compétition internationale.
Étrange trajectoire que celle de la carrière de Quentin Dupieux. Wrong Cops, envisagé comme une série de courts métrages devenus long, confirme l’impression de Wrong, celle de voir un auteur fascinant se reposer de plus en plus sur ses lauriers. Sa maîtrise de l’absurde et son goût pour le bizarre sont toujours bien présents mais le film témoigne d’un manque d’application et de la simple volonté de faire un film-concept qui en font un objet certes singulier, mais inoffensif.
Sorte de petit surdoué érigé en génie par les hipsters, Quentin Dupieux se trace une route étrange dans le circuit des festivals où sa place semble aujourd’hui acquise. Une raison évidente à cela : il fait des films qui ne ressemblent à aucun autre. Soit, mais au fur et à mesure que ses œuvres défilent, au moins elles paraissent consistantes, de plus en plus portées par leur concept que par leur contenu. Avec Wrong Cops, il se dirige vers une sorte de spin-off de Wrong centré exclusivement sur les forces de l’ordre de Los Angeles dans une nouvelle dystopie bizarre. Dans ce monde, il n’y a visiblement plus de crimes et délits mais les flics restent en faction et s’occupent comme ils le peuvent, à savoir qu’ils deviennent des ordures. Le film est constitué d’une série de vignettes dont l’agencement général manque tout de même de cohérence et de consistant. Il s’agit concrètement d’une sorte de film à sketches, voire de film choral, dont le fil conducteur est une trame de comédie noire façon frères Coen. Cependant, cette trame rapportée à posteriori pour donner un semblant de liant à l’ensemble manque sérieusement de matière pour provoquer un quelconque intérêt. Il se situe en réalité ailleurs, dans cette capacité à jongler avec l’absurde le plus sérieusement du monde, même si la sensation de répétition finit par lasser.
Le fil rouge du cadavre exquis (d’où vient ce type en sang qui refuse de mourir ?) n’est qu’un artifice destiné à brouiller les pistes. Le véritable cœur de Wrong Cops est la musique, à la fois diégétique et extradiégétique, transformant le film en un véhicule pour les compositions de Quentin Dupieux sous le nom de Mr Oizo plus qu’autre chose. Parfois intéressant dans le rapport entre le flic ignoble nommé Duke (incarné par le pas très drôle Mark Burnham et sa passion mélomane, le film finit par tomber dans l’aigreur et le cynisme, notamment à travers le producteur se moquant allègrement de la musique composée par Rough (Eric Judor toujours de la partie et toujours aussi juste sous la direction de Dupieux). Si la séquence est à première vue plutôt drôle, aussi bien par son contenu que par son tempo, bien qu’elle soit trop étirée, elle sent bien trop la bile et laisse un arrière-goût désagréable. Et tout le film est ainsi. Derrière les gags qui fonctionnent plus ou moins – il n’y a rien pour provoquer l’hilarité – se cache quelque chose de légèrement nauséabond. Il sera toujours possible d’argumenter sur le fait que Quentin Dupieux cherche avant tout à se moquer des flics pourris, ce qu’il réussit en les tournant en ridicule, ou qu’il ne s’agit que de démonstration absurde, par le non-sens. Dans un sens, c’est le cas. Cependant, à travers ce Wrong Cops, son film le plus accessible à ce jour car le moins fou, le plus “normal”, émane une volonté de taper assez violemment sur tout ce qui bouge, nouvelle preuve de la misanthropie du bonhomme.
On y trouve ainsi peu de personnages sympathiques, le monde selon Quentin Dupieux étant peuplé de connards. Mais ce qu’il y a de plus gênant dans le fond, c’est ce désir que caresser le spectateur beauf et réac dans le sens du poil, à grands coups de gags voulus subversifs mais surtout ringards s’en prenant aux femmes, aux homosexuels, aux transsexuels ou aux handicapés. De quoi provoquer le rire gras du public s’attendant sans doute à voir débarquer Alain Soral à l’écran. Wrong Cops est ainsi traversé de saillies assez désagréables et pas vraiment finaudes, même si en parallèle il contient également de belles fulgurances vraiment très drôles. Là où Quentin Dupieux est le meilleur, c’est dans l’absurde, et il le sait. Cela donne lieu à des bonnes idées (du trafic de marijuana dans des rats morts, le flic pervers obsédé par les seins de ses victimes) malheureusement épuisées par la répétition jusqu’à tomber à plat. L’autre soucis majeur de la chose est qu’à tout vouloir tout faire tout seul – le film est réalisé, écrit, composé, photographié et monté par Quentin Dupieux – l’auteur ne peut qu’accoucher d’un objet de cinéma truffé d’imperfections, voire d’erreurs grossières. Wrong Cops est bizarrement un film assez laid avec son image numérique brute, ses mouvements de caméra jamais fluides et hésitants, ses arrêts sur image et zooms systématiques, et son recours permanent à la longue focale. L’impression qui prédomine d’un tel travail est assez logiquement le je-m’en-foutisme, comme si Quentin Dupieux était conscient qu’il n’avait même plus besoin de s’appliquer. Certes, il rend moche la Californie pavillonnaire, il filme des gens laids à tous les niveaux et s’en amuse, mais son concept finit par s’épuiser. Wrong Cops marque les limites du système Dupieux tel qu’il existe aujourd’hui (c’est d’ailleurs la première fois qu’il multiplie autant les auto-citations), en espérant qu’il vogue vers d’autres directions avec Réalité, car il reste un artiste fascinant et surtout complètement libre.