Étrange Festival 2013 : compétition internationale.
Réalisateur fascinant dans son évolution, Jim Mickle se prête avec We are what we are au jeu délicat du remake américain d’un film venant d’une culture tout à fait autre. Le Mexique en l’occurrence ici, avec un récit qui perd toute sa substance en traversant la frontière, pour en trouver une autre. We are what we are n’a en fait que peu de points communs avec l’œuvre originale et construit sa propre mythologie ainsi que son propre discours, qui de l’identité évolue vers celui, plus vaste, de la religion.
Entre son premier film, le très fauché mais plein d’idées Mulberry Street, et son second, le très beau post-apocalyptique vampirique Stake Land, Jim Mickle, avec son fidèle acteur et co-scénariste Nick Damici, s’est imposé comme l’un des réalisateurs les plus intéressants évoluant dans le cinéma de genre. En marge des auteurs à la mode dont chaque projet se transforme en pétard mouillé (la bande à Ti West par exemple), Jim Mickle traite l’horreur à travers un prisme de plus en plus poétique, jamais dans la surenchère et toujours en s’appuyant sur des personnages forts. We are what we are prend le contrepied de Ne nous jugez pas, le film original, sur à peu près tous les points, ne gardant que l’élément le plus dérangeant : celui d’une famille perpétuant un rite familial de cannibalisme. Cette fois c’est donc un père veuf, deux sœurs et un petit frère, une maison isolée dans une Amérique reculée. Le procédé interpelle de par ce que l’inversion des genres entraîne en terme d’approche intellectuelle. Le film original tenait autour d’un motif simple, celui d’un jeune adolescent devenu “l’homme de la maison” qui devait jongler entre le respect de cette tradition et la nécessité de se construire une identité, sexuelle. Chez Jim Mickle, tous les rôles sont inversés jusqu’à produire un étrange film-miroir. Le tout en confortant le bonhomme comme cinéaste près de ses personnages et obsédé par la famille.
Stake Land étonnait déjà par sa poésie et sa mélancolie, contrebalancées par une violence frontale très bis. Dans We are what we are, la violence sanguinolente et les images gores sont délivrées avec toujours plus de parcimonie, ponctuations dérangeantes appuyant un arrière-plan mystérieux de cette chronique familiale pas comme les autres. S’il fallait chercher à tout prix une comparaison, Jim Mickle marche dans les traces du Twin Peaks de David Lynch, autant par la caractérisation de ses personnages que par l’ambiance délétère qu’il met en place à travers l’enquête bizarre. Le cœur du film est ici la famille, que Jim Mickle filme avec tendresse, évoquant dans les premiers instants ce qui pourrait être un discours sur l’évolution (la multiplication de plans sur la nature) pour mieux bâtir une sorte de fable d’un pessimisme fou. Autour de la figure du patriarche, être effrayant et en même temps touchant, véhicule d’une tradition séculaire que le scénario garde sous-terrain le temps nécessaire, cette chronique familiale traduit un mal-être qui n’a dans le fond rien de bien nouveau dans le cinéma américain. Il ne s’agit ni plus ni moins que du portrait d’une famille vivant en marge de la société, l’ombre du cannibalisme n’étant qu’une figure métaphorique d’un mode de vie original. Là où We are what we are se montre intéressant, c’est dans l’inclusion du motif de la tradition, s’immisçant dans le récit tel un virus contaminant les personnages. Cela donne lieu à des séquences troublantes, et notamment un montage parallèle entre une séquence se déroulant dans le temps présent et une autre à l’origine de la tradition dont il est question. Poétique, macabre, d’une beauté troublante, elle concentre les enjeux de tout le récit.
Plus que du père, figure taillée dans le marbre dont l’autorité vacille au décès de sa femme, c’est des filles qu’il est question. Elles représentent deux faces d’une même pièce. L’une doit prendre en main le respect des traditions pour “le jour de l’agneau”, tout en luttant contre les pulsions qui font son apprentissage de la vie de femme. L’autre est une rebelle refusant catégoriquement cet héritage monstrueux. Deux figures qui vont finir par s’unir dans l’horreur, jusqu’à fusionner lors d’un final dégoutant plongeant délibérément dans l’horreur la plus graphique. L’intelligence de Jim Mickle est de garder le cannibalisme comme une ombre effrayante plutôt que d’en faire un sujet, gardant ainsi une certaine retenue qui accentue l’aspect malsain du film. Malheureusement, si l’outrance du final s’avère totalement justifiée par les enjeux dramatiques et la parabole élaborée, ce basculement dans une horreur presque grotesque tant elle est démonstrative tranche trop brutalement avec la retenue de tout ce qui précède. A travers cette fable désenchantée, l’élégance de la mise en scène, l’utilisation de la longue focale et les couleurs désaturées sculptant une ambiance crépusculaire, ces acteurs tout en retenue, We are what we are établit une démonstration cauchemardesque visant les dérives du fanatisme religieux. Une démonstration pas très fine, parfois maladroite voire grossière, mais qui s’appuie une vision du cinéma d’horreur moderne assez fascinante, car portée sur les personnages et leur évolution plus que sur l’action et l’horreur proprement dite. En cela, le film confirme que Jim Mickle est sans doute un des réalisateurs estampillés “horreur” parmi les plus intéressants de sa génération. D’autant plus qu’il est un habile metteur en scène et qu’il sait se sortir des différents courants en vogue dans le cinéma de genre.